Le 25 avril 1859, salué en grande pompe par le son du canon, un Français a donné le premier coup de pioche symbolique sur les côtes de l’actuelle ville égyptienne de Port-Saïd, inaugurant les travaux d’un projet défiant l’imagination humaine qui allaient se prolonger pendant une décennie sanglante
LE CAIRE, 25 avril (Xinhua) — Le 25 avril 1859, salué en grande pompe par le son du canon, un Français a donné le premier coup de pioche symbolique sur les côtes de l’actuelle ville égyptienne de Port-Saïd, inaugurant les travaux d’un projet défiant l’imagination humaine qui allaient se prolonger pendant une décennie sanglante
“N’oubliez pas que vous ne faites pas que déplacer de la terre. Vous apportez la prospérité à vos familles et à cette belle terre”, a déclaré Ferdinand de Lesseps, ancien vice-consul de France à Alexandrie, aux travailleurs égyptiens rassemblés lors de la cérémonie
Les événements ultérieurs ont cependant prouvé que son discours n’était qu’une autre promesse creuse de la part des colonisateurs occidentaux
Dans les années qui ont suivi, 120.000 Egyptiens sont morts à la tâche sur le chantier. Après l’achèvement du canal, le Royaume-Uni et la France, qui souhaitaient contrôler cette route maritime vitale pour le commerce, ont eu recours au piège de la dette et à la guerre pour plonger la population égyptienne dans un siècle de misère
“Pour les autres, le canal n’est peut-être qu’une route commerciale, mais pour les Egyptiens, il charrie du sang et des larmes”, affirme Wael Kaddour, ancien membre du conseil d’administration de l’Autorité égyptienne du canal de Suez
UNE PROMESSE CREUSE
Jeudi 25 avril a marqué le 165e anniversaire du début du creusement du canal de Suez. L’histoire du canal a cependant commencé en 1854, lorsque le souverain égyptien Mohamed Saïd a accordé à M. De Lesseps l’autorisation de créer une entreprise chargée de construire le canal et de l’exploiter pendant 99 ans, avant d’en restituer la propriété à l’Egypte
Cette concession stipulait que l’Egypte cédait les droits de creusement et de gestion du canal à la Société universelle du canal maritime de Suez de M. De Lesseps, tout en lui fournissant gratuitement le terrain et les quatre cinquièmes de la main-d’œuvre.
Pour réunir les 200 millions de francs nécessaires au creusement du canal, la société a émis 400.000 actions disponibles à l’achat public. Un peu plus de la moitié de ces actions ont été achetées, l’Egypte en acquérant moins de 100.000. Aucune des actions réservées au Royaume-Uni, aux Etats-Unis, à l’Autriche et à la Russie n’a trouvé d’acheteur.
Soucieux d’assurer le succès du projet, les Français ont encouragé les Egyptiens à acheter les parts restantes. Etant donné les finances affaiblies de l’Egypte, le souverain égyptien n’a cependant eu d’autre choix que d’emprunter de grosses sommes au Royaume-Uni et à la France à des taux exorbitants
Cela a marqué le début de la chute progressive de l’Egypte dans un piège de l’endettement soigneusement conçu par les puissances occidentales. Au moment où le canal a été achevé, l’Egypte était au bord de l’effondrement financier
Le capital européen a englouti l’économie paysanne égyptienne, et d’énormes quantités de terre, de travail et de produits du travail ont finalement été converties en capital européen, a ainsi écrit la théoricienne politique germano-polonaise Rosa Luxemburg
Entre le début de la construction du canal et le milieu des années 1870, la dette extérieure de l’Egypte a été multipliée par 23, tandis que ses revenus n’ont été que quintuplés, le service de la dette absorbant les deux tiers des recettes de l’Etat
En 1876, accablée par une dette qui s’accumulait rapidement, l’Egypte s’est déclarée en faillite. Saisissant l’occasion, les créanciers britanniques ont réclamé les parts de l’Egypte dans le canal de Suez, et les puissances occidentales ont pris le contrôle du canal sans tirer un seul coup de feu
UN DES JALONS DE L’INDEPENDANCE NATIONALE
Malgré la perte de plusieurs amis et parents dans le conflit déclenché par la nationalisation du canal, M. Kaddour se déclare toujours fier de la décision prise par l’ancien président égyptien Gamal Abdel Nasser il y a 68 ans. La nationalisation du canal de Suez a en effet changé le destin de l’Egypte, affirme-t-il
En 1952, des officiers égyptiens dirigés par M. Nasser ont organisé une révolution, renversant la monarchie pro-occidentale. L’année suivante a vu l’établissement de la République d’Egypte.
Le 26 juillet 1956, 100.000 Egyptiens se sont rassemblés sur la place de la Libération à Alexandrie pour célébrer le quatrième anniversaire de la révolution. Devant une foule enthousiaste, M. Nasser a annoncé la nationalisation de la Compagnie du canal de Suez
“Nous ne laisserons pas les impérialistes ou les exploiteurs nous dominer. Nous ne laisserons pas l’histoire se répéter”, a-t-il déclaré
Cette décision remettait en cause les intérêts fondamentaux du Royaume-Uni et de la France. Après des efforts de coercition et de persuasion diplomatiques infructueux, les deux pays ont décidé de s’allier avec Israël, alors en conflit avec l’Egypte, pour lancer une offensive et prendre le contrôle du canal
Pour éviter que le canal de Suez ne retombe aux mains des puissances occidentales, le peuple égyptien a sabordé des dizaines de navires dans le canal pour bloquer le passage. Face aux condamnations internationales et à la détermination du peuple égyptien, les agresseurs ont finalement reculé
L’AVENIR EST AVEC LE SUD GLOBAL
Le canal de Suez constitue aujourd’hui une artère vitale pour le commerce global. Dans les périodes les plus chargées, environ 30 % du trafic mondial de conteneurs et plus d’un million de barils de pétrole transitent quotidiennement par cette voie navigable
Sous cette apparente tranquillité, l’Egypte peine cependant toujours à se libérer du contrôle occidental et à parvenir à un développement indépendant
Au début des années 1990, certaines institutions financières internationales dominées par l’Occident ont eu recours à une aide et à des prêts substantiels pour inciter l’Egypte à mettre en œuvre des réformes néolibérales, ouvrant ainsi la voie à l’afflux de capitaux occidentaux
Ironiquement, il y a plus d’un siècle, c’était déjà grâce à de telles manœuvres financières que le Royaume-Uni et la France avaient pris le contrôle du canal de Suez
La coopération mutuellement profitable entre l’Egypte et les pays en développement a cependant porté ses fruits.
Dans le désert, à moins de 50 km au sud du canal de Suez, la Zone de coopération économique et commerciale sino-égyptienne TEDA Suez a attiré plus de 140 entreprises couvrant une large gamme de secteurs, dont notamment les nouveaux matériaux de construction, les équipements pétroliers, les équipements haute et basse tension et la fabrication de machines, créant des emplois pour plus de 50.000 habitants
Dans le sud de la péninsule du Sinaï, juste en face du canal de Suez, une nouvelle ville développée par l’Egypte et l’Arabie saoudite prend rapidement forme. Cette ville devrait devenir une plaque tournante pour le tourisme, le commerce et la technologie au Moyen-Orient
Dans la nouvelle capitale administrative égyptienne et dans les zones touristiques de la côte de la mer Rouge, les projets de coopération économique et commerciale entre l’Egypte et les autres pays des BRICS se multiplient
L’Egypte est impatiente de collaborer avec les pays des BRICS pour pouvoir renforcer leur coopération économique et faire entendre la voix du Sud global, a déclaré le président égyptien Abdel Fattah Al-Sissi lorsque l’Egypte a été invitée à rejoindre le mécanisme
Bien qu’il ait pris sa retraite, M. Kaddour revient encore occasionnellement visiter les lieux où il travaillait autrefois le long du canal. “C’est là que nos rêves d’indépendance se sont réalisés. Je pense que c’est aussi là que nos rêves de développement se réaliseront”, affirme-t-il
(Xinhua)